Cher destinataire inconnu,
j’ai choisi cette feuille de papier bleu ciel pour vous partager les impressions qui m’habitent ce soir : il me semble que cela vous fera du bien de recevoir cette lettre, ces mots couchés sur le bleu du ciel, car je compatis à vos blessures, celles qu’infligent sournoisement ce que l’on nomme le « monde du travail ».
Je vous propose de vous en échapper à la lecture de mes sensations, car aujourd’hui je suis loin d’ici, loin d’ailleurs. Je suis là, au présent.
(Petite parenthèse d’entre les perceptions : j’ai tout de suite pensé que vous pourriez vous appeler «Jürgen » et même si ce n’est pas votre prénom, il faut bien que je vous appelle.)
En écrivant, je goûte à l’extrémité creuse et arrondie de mon stylo où se loge la pointe d’une canine.
Là où j’avance, j’entends mes pas frotter les herbes hautes, suivis par les bourdonnements affairés des abeilles qui s’échappent.
De splendides papillons aux ailes comme des vitraux trônent ça et là, sur la toison de cette prairie dont ils sont les rois.
Je ne saurai trop vous conseiller d’ailleurs ce que tout à l’heure j’ai senti : l’odeur agréable des copeaux de bois qu’on utilise ici pour les toilettes sèches.
A propos, j’ai touché en me promenant, avec l’intérieur de la main, l’écorce moussue de rondins parcourus de fines excroissances de bois, semblables à de toutes petites lianes…
Voilà. Je ressens la quiétude d’un endroit hors du temps.
J’espère que cette lettre vous aidera un moment à bondir de votre esprit torturé par les affres d’une vie matérielle qui coûte bien trop cher à tout le monde…